L’Euro pas Star !
05/07/2024
L’Euro 2024 n’est pas vraiment une édition spectaculaire. Peu de buts, peu de qualité. Restent quand même l’émotion et le suspense. Dans le même temps, la Copa America n’émerveille pas beaucoup plus dans des stades pourtant majestueux aux Etats-Unis. Et si, finalement, la meilleure compétition continentale de l’année avait eu lieu en Côte d’Ivoire en début d’année ?
Sur le continent, on ne lésine jamais sur les superlatifs. La « meilleure CAN de l’histoire » supplante donc largement l’Euro et la Copa America de cette année dans l’esprit des Africains. Et, au vu des épreuves continentales européennes et sud-américaines jusqu’alors, on peut entendre l’opinion. En effet, la compétition européenne accumule les matchs bien moyens sur des pelouses rendues difficiles par un printemps maussade. Seul le suspense des 8es de finale a pu raviver l’odeur des grands rendez-vous.
De sorte que la comparaison avec le grand rendez-vous de Côte d’Ivoire 2024 prend du sens. Reste à parvenir à juger et comparer différentes épreuves selon des critères un peu plus objectifs que notre simple impression ou…envie. Déjà, afficher que la CAN 2024 est la « meilleure de l’histoire » nécessite quelques explications et justifications.
Pour sûr, au niveau des émotions et du scénario, la CAN a rarement atteint de tels sommets qu’en 2024. Et le parcours ahurissant de la Côte d’Ivoire, pays organisateur, a évidemment complètement dopé cette CAN ! Voir les Eléphants s’effondrer totalement et prendre 4-0 dans leur stade lors du troisième match de la phase de groupes a formaté un tournoi à nul autre pareil. Jamais un organisateur n’avait autant failli et le traumatisme fut gigantesque. Il s’agissait quand même de la Côte d’Ivoire, un double vainqueur de la CAN…
Le doping Côte d’Ivoire
Mieux, après cette déroute qui semblait éliminatoire, on est resté littéralement en apnée plusieurs jours en espérant éviter le drame, l’élimination précoce de ce troisième au parcours médiocre. Or, sur le dernier match du dernier groupe, la victoire du Maroc sauvait les Eléphants de l’élimination. Mais on n’avait pas encore tout vu puisque la Côte d’Ivoire se retrouvait dès les huitièmes de finale face au tenant du titre, le Sénégal…et avec un nouveau coach (l’ancien adjoint Emerse Faé, avec Guy Demel à ses côtés) suite à la démission de Jean-Louis Gasset. Une dramaturgie rocambolesque et inédite…
Mais, là encore, le miracle se prolongeait avec un redressement spectaculaire des locaux après une entame proche du ridicule et un premier but encaissé. Pire, en quart de finale, le voisin malien semblait se balader vers une qualification tranquille lorsqu’un tourbillon irréel remplaça une fin écrite. Un but à la 90e, un autre à la 120e, un dénouement toujours plus improbable et toujours badigeonné d’orange…
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Sans comparaison possible…
On ne va pas refaire la CAN ivoirienne. Même si l’ambiance créée par ces événements fous est inscrite en nous à coups de marteau. Mais si les Eléphants ont ensuite consciencieusement marché sur la RDC et le Nigeria en finale, leur saga est bien la plus improbable de l’histoire de la CAN… Forcément incomparable avec des CAN tristes où les locaux sont trop vite sortis (Tunisie 1994 ou Gabon 2017). Ni même avec des CAN offrant une superbe finale comme Nigeria-Cameroun 2000, mais logique conclusion d’un tournoi moins spectaculaire. De sorte que ça ne coûte rien de dire que l’on a vécu la « meilleure CAN de l’histoire » cette année.
A côté, la victoire du Portugal à l’Euro 2016 avec un premier tour très léger (trois nuls…) et un parcours en faux-semblant apparaît anecdotique. Idem de la Grèce qui était juste une surprise assimilable à l’admirable Zambie de 2012.
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Seule la victoire du Danemark en 1992 peut – peut-être – se comparer à celle de la Côte d’Ivoire en termes d’invraisemblance. Eliminés en qualifications, les Danois, presque en vacances, attendaient tranquillement de savoir ce qu’il adviendrait de la Yougoslavie lancée dans une guerre folle et fratricide. A l’arrivée, ils sont non seulement repêchés juste avant l’Euro en Suède. Mais s’imposent en abattant Pays-Bas et Allemagne (championne du monde) en finale !
Non, vraiment, Côte d’Ivoire 2024 a été une saga absolument inédite qui a donné un cachet fou à cette CAN. Usuellement, lorsque je rentre en France après une CAN, on me demande surtout où j’avais bien pu disparaître durant tout ce temps où l’on ne m’avait ni vu, ni entendu dans les stades. Cette fois, pas du tout. Tout le monde venait me voir pour me demander de raconter cette CAN de dingue et le miracle ivoirien. Jamais, de fait, la CAN n’avait bénéficié d’un scénariste avec un tel talent. Il est rare qu’un événement réel se raconte ainsi comme une fable un peu trop belle pour être vraie.
La CAN ou l’Euro ?
Mais la CAN 2024 avait-t-elle été plus spectaculaire que cet Euro ? Si l’on se fie au nombre de buts inscrits (2,29 buts par match à la CAN), pas vraiment ! L’Euro 2024 est, pour l’instant, à 2,27… Et ces chiffres se situent bien en dessous des grands championnats… et même de la CAN 2021 au Cameroun, par exemple ! Comme quoi, il est parfois difficile de trouver des éléments objectifs pour confirmer notre ressenti et nos émotions !
En fait, la CAN a adopté la même formule à 24 que l’Euro. Si, d’habitude, ce troisième qualifié par groupe est un tue-l’amour et un terrible réducteur de suspense, il se trouve que le scénario de la Côte d’Ivoire a tout changé. Mais si la formule s’est révélée porteuse de suspense et a généré une folle aventure, c’est qu’il s‘agissait de la Côte d’Ivoire. Appliqué au Malawi, ce scénario de premier tour aurait laissé totalement indifférent.
Alors, est-ce vraiment la qualité de jeu qui peut donner l’avantage à la CAN sur cet Euro 2024 ? De fait, l’épreuve européenne n’enthousiasme guère. Mais si nous avons tous la sensation d’avoir vécu une CAN d’exception, cela s’appuie-t-il sur des critères de jeu ? Alors qui ? La Côte d’Ivoire ? Souvent défaillante au long du tournoi. Si le Nigeria a peut-être séduit au départ, il a ensuite décliné lentement de match en match. Bien sûr, la RDC ou l’Afrique du Sud ont réussi à nous surprendre. Mais il leur a également fallu passer par des calculs bien ennuyeux parfois. Quant aux favoris marocains, sénégalais, algériens ou égyptiens, ils n’ont ni gagné, ni plu…
Plus d’émotion que de jeu !
Plus généralement, les sélections nationales ont maintenant bien du mal à soutenir la comparaison avec les clubs, bien mieux préparés et outillés en joueurs (grâce aux étrangers…) ! Du coup, on peut affirmer que c’est l’ensemble du foot de sélection qui souffre de cet état de fait. Et propose un spectacle très moyen… mais néanmoins très apprécié. D’abord parce qu’il y a toujours l’effet drapeau qui agite le fan. Et, sur le terrain, puisque les équipes, même les grandes (France, Angleterre, Allemagne, Italie) sont très imparfaites, elles offrent au moins un suspense et une incertitude totale sur ces tournois…
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De fait, la CAN 2024 a aussi l’avantage sur ce point puisque les favoris ont chuté les uns après les autres. Il est vrai que l’absence de préparation des équipes avant cette CAN a pu nuire aux meilleures équipes et à la qualité des matches ! Mais l’Euro a fait encore plus fort lors d’un premier tour avec des favoris qui n’ont, bien souvent, pas montré grand-chose, mais ont tous gagné, sauf la vieille Croatie… Bien loin du suspense de la CAN, donc, où un favori comme l’Algérie a pu sauter et le Cameroun se qualifier d’extrême justesse.
Malgré tous ces avantages pour notre CAN 2024, reconnaissons aussi que la comparaison n’est pas très fair-play, l’Euro n’ayant pas encore joué les quarts de finale en Allemagne. Or on sait tous qu’il suffit de deux matches incroyables pour que notre opinion change radicalement. Le nom du vainqueur aussi peut modifier bien des choses. Si la France l’emporte, nul doute que tout le pays fera une relecture bien différente de tous les épisodes et trouvera, d’un coup, que cet Euro 2024 était vraiment l’un des plus beaux…
DOUCET PHILIPPE
Journaliste ayant débuté à « Golf Magazine » puis le quotidien sportif « Le Sport ».
Avant de plonger dans la télévision et Canal+ en 1989.
Commentateur de football et tennis.
Mais aussi créateur de la « palette » et des statistiques sur les grands directs et la Ligue des Champions.
Son engagement dans le sport africain remonte à la CAN 1992 et à toutes les CAN suivantes qu’il a suivi pour Canal+ Afrique.
Chroniqueur sur RFI dans « Radio Foot International ».